Alain SAVARY (Iridos Conseil, Ex-DG Axema)

Philippe CARASTAMATIS (Responsable du Pôle Agricole – Leaderia)

Participants :

Alexandra BORDES (Responsable Communication John Deere)

Philippe CARRE (Ex-DG Groupe Maïsadour)

Hubert DUNANT (Directeur de la Transformation et Stratégie Axéreal)

Pierre-Olivier ERIC (Ex DG Sofragrain)

Jean-Michel JUILLET (Directeur Marketing Digital France Patàpain)

Ludovic PELLETIER (DG Krone France)

 

La souveraineté alimentaire est probablement le fondement le plus profond de l’humanité et qui est réapparue dans la mémoire humaine à l’occasion de cette crise sanitaire de la COVID, sous forme de cette crainte devenue peur, de ne pas être capable de nourrir.

En France elle a trouvé une existence juridique renforcée dans la promulgation le 22 août 2021 de la loi Climat et résilience qui lui a consacré de nombreux débats et plusieurs articles de loi. Elle réaffirmait en cela le contenu de l’article L. 1 du code rural qui prévoit que les politiques en faveur de l’agriculture et de l’alimentation ont pour finalité « de sauvegarder et, pour les filières les plus à risque, de reconquérir la souveraineté alimentaire de la France et de promouvoir l’indépendance alimentaire de la France à l’international, en préservant son modèle agricole ainsi que la qualité et la sécurité de son alimentation et en préservant les agriculteurs de la concurrence déloyale de produits importés issus de systèmes de production ne respectant pas les normes imposées par la réglementation européenne »

Sur la scène internationale, cette notion de souveraineté alimentaire était déjà apparue avec la déclaration du mouvement international Via Campesina. Ce mouvement profita de la vitrine offerte par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) au Sommet mondial de l’alimentation de1996, pour faire émerger cette notion dans le débat international : « La souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays à maintenir et développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité des cultures et des produits. »

Plus pragmatiquement elle se transforme désormais en enjeux économiques et environnementaux et donc sociétaux et politiques. Certes la France reste encore une puissance agricole et agroalimentaire importante et sa balance commerciale globale est positive. Selon un rapport de la commission des affaires économiques du Sénat, publié en 2019, la France importe l’équivalent de 20% de ses besoins alimentaires globaux. Même s’il existe encore des filières à la balance positive comme celles des vins et spiritueux, des céréales, des produits laitiers, des animaux vifs. Depuis plusieurs décennies la France est importatrice nette de ses besoins alimentaires en fruits, en légumes, en poissons, en volailles, en porcs. Cette reconquête de l’autonomie alimentaire devient un véritable enjeu de compétitivité coût et environnementale entre la France et les pays tiers.

 

Causes et facteurs déclenchants

Depuis une quinzaine d’années, émerge une autre vision des consommateurs par rapport au respect de l’environnement. Les restaurateurs reçoivent des injonctions contradictoires : les clients veulent des produits de meilleure qualité (produits sans pesticides), et en même temps des prix accessibles (de l’ordre de 30 à 40% de la clientèle).

Le coût du travail en France est un frein (par rapport à l’Espagne notamment), et le coût de la main d’œuvre est de plus en plus important, avec l’arrivée aujourd’hui de travailleurs d’Amérique du Sud (vs des travailleurs polonais il y’a 25 ans).

De plus, le gouvernement favorise à l’excès la grande distribution, dont la tendance est à la concentration de ses acteurs.

 

Souveraineté synonyme d’une forme de retour à un certain protectionnisme ?

En France il faut ralentir les flux internationaux (les transports internationaux ayant de plus un impact sur l’environnement), restaurer la compétitivité de l’agriculture française en étant plus agile. Les emplois agricoles ne sont pas délocalisables. Restaurer la souveraineté revient à rediscuter de compétitivité, qui est un sujet très complexe à plusieurs niveaux.

Celle-ci est à moduler en fonction de la région et des productions : les producteurs de la filière Comté réussissent à bien valoriser leur produit et à en vivre décemment. La France est la 2ème puissance agricole mondiale, sait vendre la qualité à son juste prix (filière cognac, vin).

D’autres produits connaissent plus de difficultés, comme le poulet avec des problèmes d’approvisionnement : il est importé aujourd’hui 45% du poulet, contre 5% en 1980. Le gouvernement français a l’obligation de mentionner l’origine de la viande, c’est clairement un plus. Il n’y a pas cette obligation dans les produits transformés.

De façon plus large c’est compliqué pour un agriculteur de savoir comment orienter son outil de production, quels investissements avec une double demande de qualité et de prix. L’agriculteur individuel ne sait pas où aller, les syndicats agricoles ne les orientent pas.

Les agriculteurs sont segmentés, les coopératives se mettent à pas mal de choses : pilotes bas carbone, pilotes 0 pesticides, ont un enjeu de formation interne, qui est le plus gros défi.

 

Solutions – 3 niveaux d’action :

1/ Transformation de la filière – partage de la valeur avec les grands distributeurs

Il faut orienter les agriculteurs vers ces transitions (récoltes qui marchent le mieux), revenir à une échelle territoriale, parcellaire, avec une diversité d’offre adaptée à chaque territoire, et ainsi adapter l’offre à l’inégalité du territoire et aux problèmes climatiques.

Sur l’enjeu du partage de la valeur, il y a un rôle des distributeurs GMS pour faire en sorte de ne pas mettre uniquement l’accent sur le prix et les problèmes d’accès aux produits. Des questions se posent sur la sincérité du discours. Il faut parler aussi de qualité, pas seulement de pouvoir d’achat.

La loi Egalim est un outil sensé repartager une partie de la valeur, ça n’a pas été le cas. Le gouvernement se doit d’équilibrer les choses également.

Il faudrait alléger les contraintes règlementaires, mettre au pas la grande distribution, qui est quasiment anti-citoyenne, et donner aux agriculteurs la possibilité de résister à ce maillon final.

Au niveau des pouvoirs publics : il y’a la double question de l’harmonisation au niveau européen et du traitement agricole, on ne doit pas se tirer une balle dans le pied.

2/ Solutions technologiques

Les fabricants de machines agricoles développent des outils qui permettent de travailler intensément, et continuent aussi de proposer en même temps d’autres équipements qui permettent de répondre à des agricultures plus traditionnelles.

Ils proposent aussi des solutions pour optimiser l’utilisation des intrants ; les systèmes d’agriculture de précision permettent de faire des économies –et de respecter l’environnement- en étant capable de pulvériser à la buse près par exemple.

3/ Pédagogie – le made in France est un atout pour les clients

Il faut avoir en tête les problématiques de la production. Si elle va mal, la filière agricole française disparait. Il faut partager nos idées avec le plus grand nombre et promouvoir le made in France, en mettant en avant la qualité des produits.

Sur le problème de formation des équipes, il y’a beaucoup de communication à faire vis-à-vis des clients.